C'est en 1872 que Meilhac et Halévy présentent à Paris, théâtre du Palais-Royal une amusante comédie, Le Réveillon, dont le sujet avait, paraît-il, été déjà traité en allemand par Roderich Benedix . L'ouvrage ayant attiré l’intérêt des Viennois, un nouveau texte fut écrit par Genée, l’un des meilleurs librettistes de l’endroit. Johann Strauss fils, alors âgé de 49 ans, s'était déjà essayé à deux reprises à la scène, encouragé par sa femme Jetty et Steiner, l’avisé directeur du théâtre An der Wien : en 1871 avec Indigo et les 40 voleurs et en 1872 avec Le Carnaval à Rome. Le succès fut relatif. Lorsqu’on lui proposa de mettre en musique le texte de Genée, il n’hésita guère et se mit au travail. La partition de ce qui allait devenir l’un des chefs d’œuvre du théâtre lyrique léger fut terminée en 42 jours.
La création ne se présenta pas sous les meilleurs auspices. En 1873, la Bourse viennoise s’était effondrée au cours d’un " vendredi noir " d’où devaient résulter d’innombrables catastrophes financières et une vague de suicides. La première de Die Fledermaus eut lieu le jour de Pâques, le 5 avril 1874. Si Strauss obtint un triomphe personnel, l’accueil fait à l’ouvrage fut plutôt tiède. La critique était assez partagée, le redoutable Hanslick proclamant qu’il ne s’agissait qu'un pot-pourri de motifs de valses et de polkas. Seul le Neue Wiener Fremdenblatt reconnut les progrès réalisés par Strauss dans le traitement des scènes d'ensemble et donc dans la direction d'un meilleur théâtre musical. Quoi qu'il en soit, après 11 jours, on arrêta les frais pour applaudir la Patti dans Ernani de Verdi. Mais les amis de Strauss ne se découragèrent pas, ils réussirent à imposer une reprise qui mena la pièce jusqu’en juin. Au début de juillet, les Berlinois découvrirent l'ouvrage et ce fut un triomphe extraordinaire, bientôt prolongé à Hambourg, Vienne s'enthousiasmant progressivement. Et Paris ? Meilhac et Halévy interdisent l'utilisation du livret, ce qui a pour conséquence l’écriture d’un nouveau texte par Alfred Delacour et Victor Wilder, qui n’a plus rien à voir avec l’original. Parallèlement, la musique est " tripatouillée " et apparaît plus dansante que chantante (Renaissance, 1877). Le succès est éphémère malgré la présence de Zulma Bouffar. Pendant ce temps, Die Fledermaus séduit l’Angleterre, la Russie, les Etats Scandinaves ; l’Amérique…
Enfin, le 22 avril 1904, les Parisiens font connaissance avec la véritable Chauve-Souris, grâce à Fernand Samuel, directeur du théâtre des Variétés. Paul Ferrier écrit un nouveau livret qui suit de près l’intrigue viennoise, l’action étant toutefois replacée en France. L’ouvrage atteint 56 représentations, ce qui reste somme toute assez modeste. Il n’est repris dans la capitale qu’en 1933 pour l’inauguration du théâtre Pigalle. Pour l’occasion, Nino écrit un nouveau livret, et Korngold " jazzifie " le chef d’œuvre de Strauss. Passons… Il faut ensuite attendre 1961 pour que les artistes de l’Opéra de Vienne se déplacent à Paris (Alhambra) pour donner une série de représentation de l’ouvrage en version originale.
L’Opéra Comique (direction Jean Giraudeau) inscrit La Chauve-Souris au répertoire de la salle Favart le 20 février 1969 avec Andrée Esposito (Caroline), Anne-Marie Sanial (Arlette), Rémy Corazza (Gaillardin), Michel Roux (Tourillon), Jean-Christophe Benoît (Duparquet). Mise en scène de Jean-Pierre Grenier. Direction musicale, Jean-Claude Casadesus. La Télévision Française enregistre l’ouvrage en studio avec Nicole Broissin, Christiane Gruselle, Willy Clément, Dominique Tirmont, André Mallabrera et le diffuse en 1964. Une série de représentations est donnée à l’Opéra de Paris en allemand en 1983. Le théâtre du Châtelet (devenu Théâtre Musical de Paris) programme en 1984 une série de représentations de La Chauve-Souris. Le texte est assez éloigné de celui de Ferrier. Il s’agissait, paraît-il, de la traduction française du texte italien, lui-même adapté du livret allemand. Les noms allemands des personnages ont été maintenus, une habitude désormais adoptée par certains théâtres. Enfin, notons la série de représentations donnée à l’Opéra-Bastille (en allemand) fin 1999, dans une mise en scène de Colline Serreau. Un constat s’impose : La Chauve-Souris est un chef d’œuvre qui réunit dans une même approbation des publics venus d’horizons très différents. On peut donc à juste titre s’étonner, à la lecture de ce qui précède, du nombre dérisoire de représentations du chef d’œuvre de Strauss donné dans la capitale française, nombre ridicule même, si on le compare à celui de La Veuve Joyeuse.
L'argument :
Revenant un matin d'un bal masqué, le notaire Duparquet, victime d'une farce de son ami Gaillardin, a été obligé de traverser la ville, encore revêtu de son déguisement de chauve-souris : il a juré de se venger. Le moment lui paraît propice lorsque Gaillardin, qui s’est disputé avec un garde champêtre, doit purger une peine de 8 jours de prison, débutant ce soir à minuit.
Acte I : Duparquet vient proposer à Gaillardin de passer ses dernières heures de liberté en joyeuse compagnie, chez le Prince Orlovsky. Gaillardin, enthousiaste, s'y rend, à l'insu de sa femme Caroline. Celle-ci, avertie par la soubrette Arlette, décide d'y aller aussi de son côté, mais en est empêchée par l’arrivée inopportune d'un ancien soupirant, Alfred, qui s'incruste. Survient Tourillon, le directeur de la prison, qui, croyant arrêter Duparquet, emmène Alfred, ce qui permet à Caroline et à Arlette de se rendre chez Orlovsky.
Acte II : Entre temps, Gaillardin, arrivé chez le prince, est présenté sous le nom du marquis de Valengoujar à Tourillon, qui, lui, se fait passer pour le baron de Villebouzin. Tourillon est en réalité le nouveau directeur de la prison. Arrivée de Caroline masquée, à laquelle Gaillardin fait une cour assidue sans réaliser qu'il s'agit de se femme ; elle lui subtilise sa superbe montre, en gage d'amour. Mais minuit sonne : Gaillardin et Tourillon s'enfuient, chacun de son côté, vers la prison, où les attend un triste devoir.
Acte III : Les deux hommes se rencontrent dans le bureau de Tourillon, mais ce dernier ne peut croire que Gaillardin est Gaillardin, puisqu'il soupait avec sa femme ! Tout finit par s’éclaircir. Fureur de Gaillardin, qui se déguise en avocat, pour surprendre Alfred et Caroline, laquelle est arrivée sur ces entrefaites. Il baisse le ton lorsque sa femme lui remet la montre qu'il avait donnée à une belle inconnue chez le prince. Ce dernier surgit avec tous les invités, dont Duparquet, qui révèle à son ami qu'il a été victime d'une farce : c'est la revanche de la Chauve-Souris.
source :
http://pagesperso-orange.fr/anao/oeuvre/chsouris.html