La Symphonie Fantastique fut composée d’abord en 1830 et exécutée pour la première fois en décembre de la même année sous la direction de Habeneck. Par la suite Berlioz remania l’œuvre pendant son voyage en Italie de 1831-2 et par la suite, et la grande partition ne fut publiée qu’en 1845. La symphonie telle qu’on la connaît maintenant est donc assez différente de l’original de 1830, qu’il n’est plus possible de reconstituer complètement en détail.
La Symphonie Fantastique a toujours été l’œuvre que le nom de Berlioz évoque avant tout. Chef-d’œuvre révolutionnaire, sa composition marque une étape décisive dans la carrière du compositeur: elle est à la fois l’aboutissement de ses années d’apprentissage et le point de départ de l’œuvre symphonique de sa maturité. On y reconnaît l’influence de Beethoven, mais l’originalité de Berlioz est non moins évidente: Berlioz prolonge l’œuvre de Beethoven sans l’imiter, et son univers sonore est entièrement le sien.
Le programme sur lequel se base la symphonie subit plusieurs modifications de 1830 à 1855; et il n’est pas nécessaire de le reprendre longuement ici (on trouvera le texte intégral des deux principales versions, celle de 1845 et celle de 1855, dans Textes et documents). Sous l’influence de l’opium (dans la version de 1855), un jeune artiste doué d’une sensibilité extrême (Berlioz lui-même), a une série de visions – les différents mouvements de la symphonie – dans lesquelles la femme aimée apparaît comme une idée musicale, l’idée fixe, qui revient dans chaque mouvement mais chaque fois sous une forme différente (voyez les Mémoires à propos d’Harold en Italie). Le thème de l’idée fixe avait déjà été utilisé par Berlioz dans sa cantate Herminie écrite pour le Prix de Rome de 1828, mais son développement dans la symphonie va bien au delà de la cantate.
Le premier mouvement est presque entièrement dominé par l’idée fixe. La mélodie qui ouvre le largo (reprise par Berlioz d’une mélodie de jeunesse: cf. les Mémoires chapitre 4) y fait allusion par avance et prépare l’auditeur pour l’entrée du thème qui apparaît pleinement développé au début de l’allegro (mesure 71 et suivantes). L’allegro, de forme sonate, n’a pas à proprement parler de second sujet. Après de longs développements orageux l’allegro conclut avec un rappel du début de la symphonie.
Le 2ème mouvement, valse élégante en forme de rondo, fait contraste avec le premier. L’instrumentation en est à la fois délicate et brillante, et l’utilisation de deux harpes, instrument que Berlioz affectionne, donne à la musique un caractère de fête scintillante – on pourra rapprocher la 2ème partie de Roméo et Juliette, le dernier mouvement du Te Deum, ou la Marche troyenne. L’idée fixe apparaît deux fois, aux mesures 120-162 sous sa forme intégrale, puis plus brièvement aux mesures 302-319 avant d’être balayée par le tourbillon final qui conclut le mouvement de manière brillante. La partition autographe comporte une partie pour cornet à pistons, ajoutée plus tard par Berlioz, mais non reproduite par lui dans la grande partition publiée de son vivant. On entend parfois cette version au concert ou sur disque. Le mouvement est présenté ici en deux versions, la première sans et la seconde avec cornet à pistons.
Le 3ème mouvement est le cœur de la symphonie et aussi le tournant du drame: du monde réél imaginé des trois premiers mouvements on s’achemine au monde de cauchemar des deux derniers. Les origines du mouvement sont complexes, mais ses différents éléments sont fondus par Berlioz dans un tout indissoluble. On sait maintenant que le thème principal (mesure 20 et suivantes; allusion discrète à ce thème aux mesures 4-5 du premier mouvement) avait déjà été utilisé par Berlioz dans le Gratias de sa précoce Messe Solennelle de 1824-5, redécouverte en 1991. Mais dans la symphonie la même mélodie, en fa majeur au lieu de mi, fait l’objet de développements beaucoup plus étendus (le mouvement est en fait une série de variations sur le thème principal). Le ranz des vaches des pâtres qu’on entend au début du mouvement (mesures 1-20) puis à la fin (mesures 175-96) rappelle par sa tonalité, le coloris instrumental (l’usage du cor anglais), et son atmosphère la romance de Marguerite dans les Huit Scènes de Faust de 1828-9 (H 33), comme s’il s’agissait de deux versions de la même idée. Le mouvement est enfin un hommage évident au Beethoven de la Symphonie pastorale: c’est la découverte de Beethoven en 1828 qui oriente Berlioz de manière décisive vers la musique symphonique. Outre la même tonalité lumineuse de fa majeur, on reconnaît des échos voulus, en particulier la discrète allusion au chant des oiseaux du second mouvement de la Pastorale aux mesures 67 et suivantes. Mais il y a une grande distance entre le sentiment d’isolement qui baigne la Scène aux champs et l’hymne à la nature qu’est la Symphonie pastorale. L’idée fixe, à laquelle les mesures 38-41 font déjà une brève allusion, réapparaît dans la tourmente qui vient briser l’apparente sérénité du mouvement (mesures 87-102), puis dans un ton plus apaisé dans les dernières pages (mesures 150-4). Deux détails techniques: (1) Dans plusieurs passages du mouvement les altos sont divisés en deux groupes. Dans cette version, pour maintenir l’équilibre sonore des parties, on a divisé les parties d’alto en deux pour tout le mouvement, à l’exception des dernières mesures (197-9). (2) Pour obtenir un semblant de crescendo et decrescendo dans les roulements des timbales à la fin du mouvement il a été nécessaire de subdiviser la notation de certaines mesures (mesures 177, 182-3, 188-9; de même aux mesures 14, 16 et 159). Cliquez ici pour voir une transcription des mesures 175-196 avec la notation de Berlioz; dans cette dernière transcription les crescendi et decrescendi des timbales ne sont pas reproduits correctement.
Le 4ème mouvement était à l’origine une marche des gardes dans l’opéra de jeunesse de Berlioz Les Francs Juges (H 23), composé pour l’essentiel en 1826 et remanié en 1829. Dans la version pour la Symphonie Fantastique, Berlioz ajoute à la fin de la marche une citation inattendue des premières mesures de l’idée fixe: l’artiste, mené à l’échafaud pour avoir tué celle qu’il aime, se souvient d’elle au moment fatal, mais la mélodie est brutalement interrompue par la chute de la guillotine et le tumulte qui s’ensuit (mesure 164 et suivantes).
Le 5ème mouvement est le plus volontairement provocant de toute la symphonie et va bien au delà de tout ce qu’on avait pu tenter dans le genre jusqu’alors. Le modèle le plus proche à l’époque, la scène dans la Gorge du Loup à la fin du 2ème acte du Freischütz de Weber, n’est qu’en partie comparable: Weber en effet fait appel simultanément à différents moyens expressifs — paroles, chant, mélodrame, orchestre — alors que Berlioz n’utilise que les ressources de son orchestre. Le mouvement est de forme très libre, mais est néanmoins rigoureusement construit. Après une brève introduction qui donne le ton (mesures 1-20), l’idée fixe apparaît une dernière fois, mais seulement pour être rapidement mise l’écart après une brutale parodie musicale (mesures 21-78). Les affaires sérieuses peuvent alors commencer: d’abord le Dies irae (mesures 127-221), puis la Ronde du Sabbat (mesures 241-347), avec pour finir l’inévitable réunion des deux qui précipite la musique dans une conclusion échevelée (mesures 348-524). Plus que d’autres pages de Berlioz le Songe d’une Nuit du Sabbat fait ressortir les limites trop évidentes du système Midi, qui ne peut donner qu’une faible idée de l’originalité sonore de ce mouvement. En particulier le système Midi n’offre pas d’équivalent satisfaisant pour les cloches graves que Berlioz avait à l’esprit (mesures 102-223), et on a dû, suivant la pratique de Berlioz lui-même quand les cloches graves faisaient défaut, substituer le son d’un piano pour ce passage. D’autre part on ne peut reproduire exactement le col legno des violons et altos (mesures 444-60), et, faute de mieux, on a substitué le son d’un xylophone. Pour tenter de donner plus de réalisme au son plusieurs passages ont aussi été notés intégralement et non sous forme abrégée: les sextolets des cordes aux mesures 4 et 15, et les roulements des timbales et de la grosse caisse aux mesures 306, 311 et 316.
source :
http://www.hberlioz.com/Scores/pfantastique.htm