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| Giuseppe Tartini (1692 1770) | |
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calbo Admin
Nombre de messages : 3579 Age : 53 Localisation : Poitiers Date d'inscription : 24/11/2006
| Sujet: Giuseppe Tartini (1692 1770) Mer 25 Avr - 15:36 | |
| Le diable et le violon ont été évoqués ensemble avec une certaine insistance dans toute la littérature musicale européenne. La raison doit probablement en être recherchée dans le fait qu'il y a un aspect fascinant ou magique dans les effets de virtuosité que l'on peut produire sur un violon. Par ailleurs, cet instrument est très répandu en Europe centrale, et particulièrement chez les Tziganes, peuple mystérieux qui, outre son inclinaison pour le chiromancie, mélange dans ses croyances et ses rituels les traditions chrétienne et païenne. Pour ce qui concerne Giuseppe Tartini, la légende de ses rapports avec le Malin naquit d'une source très précise, le voyage en Italie de l'astronome français Lalande, lequel eut par ailleurs la bonne idée de surnommer le violoniste italien " le maître des nations ", eut raison du grand nombre d'élèves étrangers qui vinrent se former auprès de lui à Padoue. Le récit légendaire de Lalande est écrit à la première personne, comme s'il était Tartini lui-même. "Une nuit de l'année 1713, écrit-il, je rêvais d'une entrevue avec le diable, qui se mit à mes ordres. Tout me réussissait favorablement, mes désirs étaient réalisés et ma volonté satisfaite par le zèle de mon nouveau serviteur. Il me vint à l'esprit de lui donner mon violon pour voir s'il saurait en jouer. A ma grande stupéfaction, j'entendis une magnifique sonate, exécutée avec un tel brio que je ne pensai pas pouvoir en trouver un équivalent. Je restai surpris et ravi, au point que le souffle me manqua sous l'effet de l'éblouissement. La vivacité de cette sensation m'enhardit. Je pris vivement le violon, espérant pouvoir répéter une partie de ce que je venais juste d'entendre: inutilement! Je composai alors une sonate qui, en réalité, est la meilleure que j'aie jamais écrite, et je l'appelai la Sonate du diable. Mais elle est à ce point inférieure à ce que j'avais entendu que j'aurais abandonné le violon et la musique pour toujours si seulement j'avais su faire autre chose." Ce songe a tellement influencé la carrière et la célébrité de Tartini que son nom est maintenant toujours associé mentalement au Trille du diable, selon le surnom de l'une de ses sonates pour le violon, au point de laisser injustement dans l'ombre le reste de son oeuvre. Enfin, une autre hypothèse a été avancée, selon laquelle la qualification de "diabolique" accolée à Tartini évoque aussi la fin de sa vie. A cette époque, il développa des théories très spéciales qui le conduisirent à écrire, outre des traités de musique, des traités ésotériques d'inspiration philosophico-mathématique. Il cherchait une explication de l'univers à travers l'élaboration de formules mathématiques relevant d'un pythagorisme et d'un néoplatonisme qui équivalaient alors à un commerce avec le Malin, un peu comme il en allait avec les sorciers au Moyen Age, ou avec les alchimistes sous la Renaissance. La même tonalité biographique conduit à attribuer par ailleurs au pauvre Giuseppe Tartini une jeunesse scabreuse et quasi sacrilège, par la mise en relief de certains évènements exacts de sa vie. Pour s'en tenir au vérifiable, il est exact que le compositeur âgé de dix-sept ans seulement, quitte en 1709 sa ville natale de Pirano, en Istrie, pour se rendre à Padoue; là, au lieu d'entreprendre des études universitaires normales, il se consacre entièrement à la musique, désespérant son père, Giovanni Antonio Tartini, qui tient à donner une excellente formation à ses nombreux enfants. Mais il faut apporter quelques précisions sur l'inauthenticité de certains épisodes biographiques. Si Giuseppe Tartini a bien contracté le 29 juillet 1710 un mariage secret avec Elisabetta Premazore, de deux ans son aînée, il est faux qu'il ait alterné avec ses études de violon l'activité d'escrimeur et qu'il ait envisagé d'ouvrir une école d'escrime. Il est faux également qu'il ait été contraint, à la suite d'une jeunesse particulièrement dissolue, de confier sa propre femme à l'un de ses frères pour fuir tout d'abord à Ancône, puis à Assise chez les moines franciscains, où il aurait reçu des leçons de compositions de la part du "Padre Boemo", surnom italien du musicien tchèque Bohuslav Cernohorsky (qui fut effectivement organiste à Assise entre 1711 et 1715). Il n'est pas vrai non plus qu'il ait abandonné l'habit écclésiastique, pour la simple raison qu'il ne fut jamais ordonné prêtre, son mariage secret semblant avoir eu notamment comme motif le souci d'échapper à la prêtrise. Les compositions de Tartini sont, pour la majorité d'entre elles, des sonates et des concertos qui naquirent initialement dans la stricte observance des canons formels baroques, en particulier des modèles légués par Arcangelo Corelli, avant de se développer selon une forme générale tendant vers le classicisme. De ce point de vue, la situation du compositeur istrien est assez comparable dans laquelle se trouve Giovanni Battista Sammartini à l'égard de la symphonie: l'un et l'autre compositeurs sont plongés dans les incertitudes d'une période de transition, et destinés à composer en explorant les impasses d'une tradition sans pouvoir encore ouvrir les portes d'une autre. Logé en cela à la même enseigne que la plupart des compositeurs italiens de musique instrumentale, Tartini publia relativement peu au regard de tout ce qu'il avait composé; toutefois, sa musique circula soit sous forme de manuscrits, soit du fait de ses exhibitions publiques (qui constituaient l'une des attractions de Padoue), soit par l'intermédiaire de ses nombreux élèves. L'évolution qu'imprime Tartini à la forme sonate et au concerto est assez linéaire et régulière. Prenant comme point de départ l'opus 5 de Corelli, entièrement consacré à des sonates pour violon et la basse continue Tartini s'oriente vers une écriture qui, progressivement, autonomise le violon par rapport à la basse continue - qu'il en vient à négliger dans son écriture. Du reste, dix ans auparavant, Bach avait conçu avec ses sonates et partitas une exploitation du violon comme instrument soliste sur une trame contrapuntique beaucoup plus complexe. L'abandon de la basse continue apparaît comme l'une des tendances typiques du passage du baroque au classicisme. Chez Tartini, cet abandon prend une forme particulière, dans le passage de la sonate à trois (deux violons et une basse continue) à la sonate à quatre, où l'alto vient combler le registre entre les aigus et la basse, et où, également, le violoncelle prend la place du clavecin et commence à jouer à parité avec les autres voix. La même mutation apparaît dans les concertos, qui, sur la base de l'architecture générale vivaldienne, évoluent vers une construction plus élaborée des enchaînements entre le soliste et le reste de l'orchestre, introduisant des ruptures et des contours assez nets. Il s'agit, là aussi, d'une tendance assez significative de l'évolution de la musique au XVIIIè siècle. Jusqu'au milieu du siècle, les maîtres du baroque tardif qui s'étaient consacrés à la musique instrumentale avaient toujours gardé comme modèle de référence mélodique la performance vocale et, comme c'est le cas pour Albinoni et Vivaldi, avaient composé tout à tour des concertos et des opéras. Avec Tartini, à l'inverse, c'est la spécialisation insturmentale inaugurée par Torelli et Corelli qui est portée à ses conséquences ultimes, ce qui amène à une séparation radicale entre les possibilités propres à la voix et les idées musicales exploitées au violon, ou sur un autre instrument, toutes choses qui seraient apparues saugrenues et antimusicales à l'époque précédente. Tartini lui-même souligne ce divorce entre l'écriture vocale et l'écriture instrumentale: " Ces genres sont à ce point opposés que ce qui est adapté à l'un ne peut l'être à l'autre. Il est indispensable que chacun puisse développer son propre talent. J'ai été sollicité par des théâtres vénitiens pour composer à leur intention, mais j'ai refusé car je sais fort bien qu'un gosier n'est pas un violon. Vivaldi, qui a voulu écrire dans les deux genres, s'est fait siffler dans l'un tout en réussissant parfaitement dans l'autre." Ce jugement de Tartini est pour partie erronée ( puisque Vivaldi fut plus applaudi à son époque pour ses opéras que pour ses concertos, lesquels étaient surtout joués dans l'enceinte limitée de son Ospedale), mais il est pour partie prophétique et profondément juste, anticipant par bien des côtés sur le devenir de l'écriture instrumentale, et percevant bien que la gloire posthume de Vivaldi viendrait de ses concertos. Giuseppe Tartini est né le 8 avril 1692 à Pirano, dans une famille nombreuse. Il est le quatrième enfant d'un couple qui en eut neuf, dont deux moururent en bas âge. Le père, Giovanni Antonio Tartini, descendant d'une famille de la noblesse florentine, est venu en 1678 s'installer en Istrie, à Pirano, pour développer un commerce familial. C'est dans cette ville qu'il prend femme en 1685, en la personne de Caterina Zangrando. Les premiers différends qui opposèrent Giuseppe à son père apparurent lorsque celui-ci manifesta son intention de faire embrasser à son fils la carrière écclésiastique, habituellement réservée aux jeunes doués pour les études plutôt que pour faire des affaires. Mais Giuseppe, quant à lui, ne tient guère à entrer dans les ordres. Aussi, après une première formation de séminariste à Capodistria, s'arrange-t-il pour se faire envoyer à l'université de Padoue afin d'y suivre des études de lettres ou de droit. De ses années de formation au petit séminaire lui resteront pour toujours une religiosité consciente et déterminée, qui ne dégénérera jamais en bigotisme affiché, et des convictions personnelles qui évolueront progressivement vers un déisme peu orthodoxe conforme à celui qui se fera jour ailleurs dans son siècle, tant en Italie qu'en France, dans les cercles cultivés. Dans le milieu universitaire padouan, Tartini découvre une vrai vie musicale et se perfectionne dans la technique violonistique. Sa vocation d'instrumentiste et de créateur s'affine, en même temps que ses idées religieuses évoluent. L'état écclésiastique lui devient vite une perspective d'avenir assez démoralisante, d'où son mariage précoce et caché, qui lui ferme définitivement la prêtrise. Ce mariage, compte tenu de ses circonstances particulières, est à l'origine des légendes et des affabulations les plus diverses. On affirma par exemple à une époque que son épouse, Elisabetta Premazore, était apparentée au cardinal Cornaro, membre d'une importante famille aristocratique vénitienne, et que le secret du mariage avait été gardé pour éviter quelque retombée négative sur ce grand personnage de la hiérarchie vaticane. En réalité, la Premazore était simplement la fille d'un cuisinier du cardinal. Tout, ou presque, a donc été inventé dès lors qu'il s'agissait de Giuseppe Tartini. Ainsi de l'autre hypothèse selon laquelle le secret aurait entouré son mariage parce qu'il n'avait que dix-sept ans au moment de la cérémonie. Celle-ci ayant été célébrée le 29 juillet 1710, et Tartini étant né le 8 avril 1692, les dix-huit ans étaient bien révolus à la date des épousailles dans la chapelle des Carmélitains, en présence de témoins à la moralité incontestable: un secrétaire de la cathédrale, Bartolomeo Manucci, un carmélitain nommé frère Cyprien du Sauveur, et un clerc de la cathédrale, Antonio Andolfato. En 1714, on retrouve la trace de Tartini à Ancône. Rien n'indique qu'il s'y soit réfugié pour fuir la colère de l'évêque de Padoue; il y est en effet employé comme violoniste à l'opéra local. Il dispose en tout cas d'assez de temps libre pour travailler de près la technique de son instrument et découvrir un phénomène étrange sur son violon, celui dit du "troisième son". Dans son traité intitulé Trattato di musica secondo la vera scienza dell' armonia (Padoue 1754), il notera plus tard: "En 1714, âgé de vingt-deux ans seulement, j'étais à Ancône lorsque je découvris ce phénomène [du "troisième son"] de manière fortuite sur le violon. J'en fis alors part sans réserve ni mystère aux professeurs de violon." Ce phénomène de résonance entre cordes vibrantes consiste en l'exécution d'une tierce ou d'une sixte sur deux cordes; si l'intervalle est absolument juste, l'oreille perçoit au-dessous un "troisème son", ou "son résultant". Il s'agit là de l'exact inverse des sons harmoniques. Si l'on joue par exemple un do sur un piano, une oreille exercée y perçoit en même temps un mi, un sol et un do supérieurs. Ce sont des sons harmoniques. A l'inverse, si l'on joue en même temps sur un violon (ou si l'on fait jouer par deux trompettes, ou par deux hautbois, etc), un mi et un sol, ou un mi et un do aigu, on entendra assez nettement, en même temps, un do grave, celui que Tartini appelait le "troisième son". Ce phénomène accoustique n'a guère été exploité, sinon par un compositeur comme Edgar Varèse (1883-1965), qui a constaté combien les sons résultants modifiaient les timbres et les couleurs sonores dans les ensembles orchestraux. Pour autant, ce phénomène, qui devait être à la base de la théorie harmonique développée par Jean-Philippe Rameau dans son Traité de l'harmonie réduite à ses principes naturels (1722) et dans son Nouveau système de musique théorique (1726), n'a pas fait l'objet d'une réflexion poussée de la part de Tartini. Plutôt que d'en disséquer la réalité physique, il l'a intégré, en bon italien, à une mystique des nombres et à une conception pythagoricienne de l'univers | |
| | | calbo Admin
Nombre de messages : 3579 Age : 53 Localisation : Poitiers Date d'inscription : 24/11/2006
| Sujet: Re: Giuseppe Tartini (1692 1770) Mer 25 Avr - 15:37 | |
| Un évènement important est probablement intervenu dans la vie de Tartini avant son retour à Padoue, en 1721: sa rencontre avec le virtuose florentin Francesco Maria Veracini (1690-1768). On raconte qu'un duel musical, comme l'époque les aimait, aurait opposé les deux hommes en 1716 dans le palais du doge de Venise en présence du prince Auguste III de Saxe, lequel aurait ensuite engagé Veracini comme premier violon de sa cour à Dresde. Aucun document n'a jamais pu être fourni à l'appui de cette supposée rencontre, pas plus qu'à l'appui de la thèse selon laquelle Tartini, prudent, serait allé écouter son rival potentiel avant d'accepter le duel, et aurait refusé celui-ci en sachant qu'il allait le perdre. Le plus probable est que ces légendes ont été propagées par Veracini lui-même, qui souffrait d'instabilité caractérielle et affirmait par ailleurs à qui voulait l'entendre: "Il n'existe qu'un seul Dieu, et un seul Veracini !" Entre 1718 et 1721, période qui a suivi le séjour à Ancône et précédé le retour à Padoue, les documents biographiques concernant Tartini sont totalement inexistants. On ne retrouve sa trace qu'en 1721, date à laquelle il est nommé premier violon à la basilique Saint-Antoine, à Padoue, charge qu'il conservera jusqu'en 1765. Ce dut être pour lui un travail relativement tranquille, le petit ensemble de la basilique placé sous sa responsabilité ne comportant guère que huit violons, quatre altos, quatre violoncelles, deux contrebasses, deux cors et deux hautbois. Tartini profita de sa relative liberté professionnelle pour donner des concerts, même hors l'Italie, pour ouvrir une école de violon fréquentée rapidement par des élèves de toutes les nationalités européennes, ce qui lui valut le surnom de "Scuola delle nazioni" (Ecole des nations). Avant d'adopter Padoue comme seconde patrie, Tartini fut toutefois contraint de s'en tenir éloigné. Son contrat avec la chapelle Saint-Antoine stipulait en effet qu' "il devait paraître dans les principales solennités", mais seulement "s'il se trouvait à Padoue ou dans les environs". Cela voulait dire que le violoniste pouvait vaquer librement à ses activités, qui naturellement l'emmenaient du côté de Venise, sous la seule réserve qu'il habitât en dehors de Padoue pour éviter de se faire surprendre par un paroissien en train de "sécher". Dès lors, il ne manqua pas, pour conserver sa liberté, d'habiter ailleurs. Selon un témoignage du père Anselmo Marsando, successeur lointain de Tartini à Saint-Antoine entre 1829 et 1832, "Tartini habita plusieurs années durant à Venise, même quand il eut en charge la chapelle de Saint-Antoine à Padoue, allant constamment de l'une à l'autre ville. En fait, il continua toujours à donner des leçons à l'aristocratie vénitienne, à un frère de Benedetto Marcello, à un certain Giustiniani, traducteur de psaumes, à un Venier, un Mocenigo, en somme à de nombreux personnages en vue, de même qu'à quelques jeunes gens des conservatoires qui réussirent assez bien [...]. Quand le maître de chapelle de Saint-Marc l'invitait, il s'y rendait également pour les grandes occasions, et le premier violon Nazari lui cédait sa place". A la fin du mois de décembre 1723, Tartini écrivit de Prague aux responsables de Saint-Antoine pour qu'ils lui maintiennent son poste de premier violon. Il resta en effet jusqu'au printemps ou à l'été 1726 dans la capitale tchèque, où il se fit connaître comme concertiste et forma des disciples. Il avait été invité initialement à l'occasion du couronnement de l'empereur Charles VI, évènement qui avait donné lieu à de nombreuses fêtes musicales (parmi lesquelles une représentation de la cantate scénique Costanza e Fortezza de Johann Joseph Fux (1660-1741), surtout connu aujourd'hui pour ses traités théoriques ) et à des concerts auxquels participèrent des notoriétés comme le flûtiste Johann Joachim Quantz. "J'ai entendu le célèbre violoniste Tartini, racontera Quantz. Il tirait de son instrument une sonorité magnifique. Les doigts et le coup d'archet étaient exceptionnels. Il jouait avec clarté, sans effort apparent ni grandes difficultés. Il faisait sonner avec tous les doigts des trilles et des doubles trilles. Il utilisait les doubles cordes dans les mouvements lents aussi bien que dans les mouvements rapides, et s'en allait volontiers dans le registre aigu. Mais ses exécutions n'émouvaient guère et n'étaient pas d'un goût raffiné, contrairement au bel canto." Durant son séjour à Prague (qu'il prolongera, selon l'un de ses biographes, afin d'éviter un scandale vénitien avec une maîtresse qui lui attribuait la paternité d'un de ses enfants...), Tartini put ainsi engranger quelques subsides destinés à venir en aide à sa famille. Depuis la mort de son père, en effet, ses nombreux frères et soeurs avaient subi des revers financiers et vivaient dans une relative pauvreté. Giuseppe étant le plus célèbre de la famille, et donc le plus à même de gagner de l'argent, il dut pourvoir à leurs besoins principaux. En échange, la famille restée au pays s'occupait de sa femme, dont la santé précaire entraînait des soins aussi coûteux qu'inutiles. Tartini s'inquiéta un moment de ce rôle qu'il tenait de seul pilier de la famille. Longtemps malade à Prague, il eut du mal à retrouver l'état de santé indispensable pour entreprendre son voyage de retour vers l'Italie. Il avait entre-temps écrit à son frère Domenico: "Si je meurs ici, ce ne sera pas bon, ni pour vous, ni pour moi. Je suis donc résolu à revenir en Italie le plus vite possible, ne serait-ce que pour des questions d'argent. Si Dieu m'avait accordé la santé, je serais assuré de vous libérer en quelques années de toutes vos misères. Mais il ne l'a pas voulu, pour notre châtiment, et il n'y a rien à faire. Et ce qui est pire, c'est que je ne tirerai guère de profits à prolonger mon séjour [...]. Si en Italie (que Dieu me donne à nouveau la santé, comme je l'espère avec l'amélioration du temps) je gagne ma vie comme je peux le faire, soyez assurés que je ne vous abandonnerai jamais, ni vous, ni votre progéniture, ni frères et soeurs..." Tartini put revenir à Padoue au début de l'année 1726. Il semble qu'à partir de cette date il ne s'en soit guère absenté, sinon pour ses vacances d'automne, ou une fois à l'occasion d'un voyage à Rome en 1740, probablement pour jouer devant le pape Clément XII- qui, mourant, avait demandé à l'entendre. Pour le reste, Tartini montra de plus en plus de réticence aux voyages, refusant par exemple des invitations à Londres ou à Paris, transmises par de hauts personnages. C'est après 1740 qu'il commença par ailleurs à souffrir d'une douleur au bras qui rendit de plus en plus difficiles ses exhibitions en tant que violoniste (il s'agit, en fait, d'un problème articulaire touchant les vertèbres cervicales, aujourd'hui aisément réductible par manipulation étiopathique). Cela explique pour partie sa prévention envers les tournées à l'étranger: il n'aurait probablement pas manqué de s'y montrer inférieur à sa réputation, ce qui est bien le pire pour un interprète. Tartini a tenu lui-même une comptabilité précise de ses gains après son retour en Italie, laquelle permet une appréciation à peu près réaliste de sa carrière de virtuose. Pour ce qui concerne le rapport de l'école de violon, entre un maximum de dix élèves et un minimum de deux (outre deux élèves accueillis gratuitement par générosité), Tartini calculait une moyenne de 2 sequins par mois pendant dix mois, et ce pendant quarante ans. Pour les concerts, entre 1727 et 1740 (année du début de ses problèmes brachiaux), la recette est estimée à 30 sequins par an, soit 420 en tout, "c'est-à-dire environ 1540 ducats courants". Les auditions privées données à domicile aux voyageurs de passage, en majorité britaniques, sont évaluées à 368 sequins entre 1727et 1750 (date de la paralysie brachiale complète). A cela s'ajoutent 500 ducats de droits pur l'imprssion de deux ouvrages musicaux". (deux recueils de compositions instrumentales) et pour les commandes privées. En complétant avec 900 ducats de salaire pour les six premières années à la basilique Saint-Antoine à Padoue et 5780 ducats pour les trente-quatre dernières années de service, Tartini arrive à un total de 29470 ducats gagnés en quarante années de carrière. Toutes conversions faites, et après déduction des cours qui ne furent pas honorées par des destinataires, on arrive à une carrière comparable à celle d'un professeur sérieux de nos jours. Le portrait de Tartini dans sa vie conjugale traduit le même idéal de tranquilité bourgeoise, à cent lieux des frasques qui lui ont été prêtées par la légende. Si son voyage à Prague semble indiquer que son mariage ne fut pas toujours sans nuages, on sait aussi qu'il parlait en 1761 de la maladie de sa femme comme "d'une sainte croix que, depuis un an environ, j'ai à la maison"; il refusa en outre des invitations à l'extérieur pour rester près de son épouse. Et l'absence d'enfant dans leur foyer parait avoir été acceptée par l'un et l'autre dans une sérénité conquise ensemble. Leurs sépultures placées l'une à côté de l'autre dans l'église Sainte-Catherine à Padoue semble donc refléter ce que fut leur vie commune. En ce qui concerne les difficultés économiques des autres membres de la famille, c'est bien grâce à Giuseppe Tartini que le pire a été évité. Il écrit en effet: " Je rends grâces à Dieu de m'avoir accordé par sa miséricorde la consolation de comprendre parmi vous autres, et avant ma mort, ce qui fonde la paix et la concorde chrétiennes". Dans une lettre datée du 5 février 1770, soit trois semaines avant sa mort, survenue le 26 février, le violoniste écrivit aux siens: "Je dois vous prévenir que je me trouve dans un état de santé aggravé et que j'ai toutes les raisons de croire que Dieu me voudra bientôt dans l'autre monde. La jambe gonflée est démesurée, et un ulcère à un doigt de la même jambe me provoque une douleur continue; cela m'a réduit depuis plus d'un mois à ne plus pouvoir même rester au lit, et je n'ai pas dormi douze heures de tout ce temps. Ces maux menacent à chaque instant du pire, et je peux m'arrêter de vivre d'une heure à l'autre. Pour moi, peu importe, je suis trop fatigué de vivre. Mais pour ce qui vous concerne [...], à cause du fait que je ne connais pas vos intentions communes, je n'ai pas encore rédigé mon testament à cette heure, et je ne peux le faire si vous autres n'êtes pas en communauté de pensée avec moi. Ce retard peut apporter quelque dispute à la maison dans l'avenir..." | |
| | | calbo Admin
Nombre de messages : 3579 Age : 53 Localisation : Poitiers Date d'inscription : 24/11/2006
| Sujet: Re: Giuseppe Tartini (1692 1770) Mer 25 Avr - 15:37 | |
| La production musicale éditée du vivant de Tartini ne représente qu'une infime partie de son oeuvre, riche de cent soixante sonates pour violon, de quelque cinquante sonates à trois, de deux cents concertos pour violon et cordes, et d'un ensemble de symphonies qui, selon les habitudes de l'époque (Gossec en France en éditera sous cette forme), peuvent être jouées en quatuor. Cinq recueils seulement furent imprimés, dont quatre à Amsterdam, chez Le Cène, le gendre et successeur du célèbre éditeur d'origine normande Estienne Roger. Les trois premiers, publiés entre 1728 et 1730, comprennent chacun six concertos a cinque, c'est-à-dire pour violon solo et quatre parties orchestrales; et le quatrième, imprimé en 1734, regroupe douze sonates. Le dernier, enfin, comprend douze autres sonates pour violon et basse continue; il a paru à Rome en 1745, cinq ans après le retrait de Tartini des scènes de concerts. La plus grande partie du reste de sa production se trouve dans les archives de Saint-Antoine, à Bologne, d'où les éditeurs modernes du compositeur ont exhumé plusieurs oeuvres, y compris la célèbre sonate du Trille du diable. Du point de vue structurel, les sonates de Tartini suivent un schéma assez constant: un mouvement lent introductif, suivi de deux mouvements plus rapides, ce qui correspond à une forme abrégée de la sonate ancienne. La coupe des concertos diffère de celle des sonates: structure complexe et très élaborée dans le mouvement initial, lyrique et chantante dans le deuxième, rapide et vivace (en forme de gigue, par exemple) dans le dernier. Le soliste y est plus intégré à l'orchestre que chez Vivaldi, et les formes thématiques sont plus élaborées. Mais on y sent peut être une moins grande liberté dans le développement, restreint par les contraintes de la pure virtuosité violonistique aux dépens de l'épanouissement mélodique, dont Vivaldi fut un grand maître. Les élèves de Tartini sont à l'origine d'une brillante école instrumentale de virtuosité qui devait essaimer à travers toute l'Europe. Le plus célèbre d'entre tous les disciples est à coup sûr Pietro Nardini (1722-1793). Né à Livourne, fils de la Toscane, élève préféré du maître à la "Scuola delle nazioni" de Padoue, il fut qualifié de violonista dell'amore à cause de la douceur inégalée de son jeu et de sa technique. Nardini se fit connaître à l'étranger à partir de 1762, lorsqu'il fut engagé dans l'orchestre de cour du duc Karl Eugen de Wurtemberg, dirigé à Stuttgart par le compositeur napolitain Niccolo Jommelli (1714-1774). En 1769, il est rappelé à Padoue en raison de la maladie de son maître Tartini, qu'il assistera dans la mort. Il sera ensuite nommé en 1770 à la tête de la chapelle grand-ducale de Florence, où il terminera sa carrière. Le jeu élégant et la technique maîtrisée de Pietro Nardini suscitèrent l'admiration du musicographe britannique Charles Burney (1726-1814), qui cite le compositeur dans son journal de voyage en Italie, et de Leopold Mozart (juge pourtant fort sévère à l'égard des virtuoses italiens), qui le rencontra à Augsbourg au mois de juillet 1763, au cours de l'une des premières tournées du petit Wolfgang Amadeus. Si le style compositionnel de Nardini rappelle assez sensiblement celui de son maître, il s'en distingue toutefois dans le traitement des mouvements lents, avec de longues phrases mélodiques, d'une ampleur inaccoutumée, réservée aux adagios et aux lentos de ses concertos et de ses sonates. Il aimait improviser sur ces "lieder" avant la lettre une ornementation très riche, comparable aux stucs rococo qui ornent les lignes pures et presque romanes des voûtes de l'époque. Dans son Art du violon, le violoniste et compositeur français Jean-Baptiste Cartier (1765-1841) cite quelques exemples d'ornements nardiniens, qu'il oppose à ceux de Tartini, souvent surchargés. Son Concerto pour violon et cordes en Mi bémol Majeur montre plus d'élégance et de charme que de pure virtuosité. Nardini eut, d'une manière générale, plus de discrétion que Tartini dans l'usage des tourbillons techniques "diaboliques", et une inspiration plus spontanée et plus attayante. Enfin, il fut l'un des derniers compositeurs préclassiques à conserver dans ses sonates l'usage de la coupe baroque lento-allegretto-allegro, qui devait être bientôt complètement abandonnée au profit de la structure en quatre mouvements- laquelle sera utilisée jusqu'au romantisme. Parmi les virtuoses italiens formés à Padoue, on pourrait égréner de longues litanies de noms, qui sont autant de points d'interrogation tant il reste de travail musicologique et biographique à entreprendre pour répertorier les compositeurs, les distinguer des simples virtuoses, et publier les oeuvres intéressantes dans des éditions critiques fiables. Mieux vaut donc se limiter à quelques-uns, dont l'autorité fut incontestable, par exemple Alessandro Marcello (1684-1750), frère de Benedetto, qui passe pour avoir largement bénéficié de ses conseils, Emanuele Barbella (1718-1777), Pasquale Bini (1716-1768) ou Felice Giardini (1716-1796), qui mena une triple carrière de virtuose, de chef et de compositeur, se faisant connaître également à Londres dans le troisième tiers du siècle, ou Angelo Morigi (1726-1801). Parmi les disciples français de l'école padouane, on peut aussi retenir un nom comme celui d'André-Noël Pagin (1721-vers 1785), qui remporta un vif succès de virtuose à Paris aux Concerts spirituels en 1747, puis un second en 1748 y jouant un concerto de Tartini. Pierre Nicolas Housset, dit Pierre La Houssaye (1735-1818), brillant élève de Tartini et de Pagin, prit lui aussi une part active aux saisons des Concerts spirituels, qu'il dirigea à partir de 1777, notamment devant la reine Marie-Antoinette. Les Concerts spirituels furent généralement accueillants pour les virtuoses italiens issus de Padoue. Ils reçurent ainsi Giovanni Piantadina (1705-1782), qui s'y tailla un vif succès en 1743, Domenico Ferrari (1722-1780), célèbre pour sa virtuosité dans les octaves et la netteté de ses sons harmoniques, Maddalena Lombardini-Sirmen, destinataire d'une célèbre lettre de Tartini dans laquelle le maître détaille à son intention le travail technique d'entretien de la virtuosité, Carlo Chiabrano (né en 1723), qui se fit appeler Chabran lorsqu'il vint jouer en 1751, ou Lorenzo Carminati (env. 1700-1770). Entre la France, l'Allemagne et l'Italie, la "Scuola delle nazioni" a remporté de nombreux succès et imposé une impeccable école de virtuosité. Le flambeau devait en être ensuite repris par la "filière lombarde", celle de Viotti, qui allait former la plupart des grands chefs d'école du XIXè siècle. L'influence de l'Italie sur le développement de la technique violonistique dans toute l'Europe fut donc à tous égards fondamentale, au point qu'il devient difficile de trier les origines lointaines des écoles nationales. Toutefois, en dehors du cercle restreint des purs techniciens du violon, le répertoire de virtuosité italien en général, et celui de Tartini en particulier, fut longtemps abandonné pour cause de légèreté du propos, du moins au regard des critères du romantisme, puis de ceux des différentes avant-gardes du XXè siècle. Il revient maintenant sur le devant de la scène. source : http://membres.multimania.fr/musiqueclassique/compositeurs.htm | |
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