Michel de La Barre, né à Paris vers 1675 et mort à Paris le 15 mars 1745 est le premier des grands flûtistes français connus. De par ses compositions, de simple exécutant, il fonda probablement la première école de flûte traversière française. Collaborateur des premiers temps des deux flûtistes « d’allemand ». préférés de Lully et de Louis XIV, René Pignon Descoteaux (v.1646-1728) et Philibert Rebillé dit Philbert (v.1650-1712), Michel de La Barre officia rapidement dans les salons de Versailles, aux côtés de François Couperin, Antoine Forqueray ou les frères Hotteterre, lors de ces fameux concerts de chambre que le roi goûtait fort. Il développa ainsi un goût particulier pour la formation en trio (deux instruments de dessus et une basse continue), qui illustrait à merveille le goût noble et fastueux du monarque et avait été initiée à Versailles par Lully pour les célèbres « couchers du roi ». Imitant Marin Marais qui s’était frotté en 1692 au genre, il n’est donc pas étonnant que la première œuvre de Michel de La Barre, publiée par Christophe Ballard en 1694, ait été un livre de trios sur le frontispice duquel il est qualifié de « flûte de la Chambre du Roy ». Dédié à une obscure « Mademoiselle G. L. C. », le recueil privilégie les mouvements tendres et sensibles qui ont fait souvent dire que La Barre avait un talent particulier à émouvoir les dames de la cour : « Mademoiselle, /Ce n’est ni l’ambition de paroître, ni le désir d’acquérir de la réputation, qui m’ont engagé à faire les Trio que je vous présente : Quoyque l’un & l’autre motifs soient glorieux, & que l’on puisse, sans rougir, se laisser aller à un penchant si doux ; Cependant j’aurois peut-être été long-temps insensible à leurs douceurs, si je n’y eusse été poussé par le désir que j’avois de faire quelque chose qui pût vous plaire & vous divertir. C’est le seul but que je me suis proposé dans mon entreprise, & c’est aussi dans cette vûë que le prends la liberté de vous les offrir : j’auray toujours assez bien reüssi, si vôtre délicatesse peut s’en contenter, & si je puis par-là vous persuader que je suis avec tout le respect possible,/Mademoiselle,/Vôtre très-humble & très-/Obeïssant Serviteur,/De La Barre. » En 1703, il entre officiellement dans la Musique de l’Ecurie et de la Chambre du Roi et y restera jusqu’en 1730. Il est alors déjà employé par Lully en renfort pour ses divertissements et ne tarde pas, en 1700 à intégrer l’orchestre de l’Opéra et à y l’un des meilleurs solistes du « petit chœur », ainsi qu’on le décrivait en 1713. L’année 1700 voit également la publication du second livre de « Pièces en Trio pour les violons, flustes et hautbois composées par le Sieur De La Barre », cette fois-ci sans aucune dédicace ni titre… Ces sept nouvelles suites de danses rejoignent, par leur style, la récente Sérénade ou Concert, Divisé en trois Suites pour les violons, flûtes et hautbois publiée par Montéclair en 1697. Elles suivent cependant le schéma de la Sonata da chiesa italienne, avec, de manière plus ou moins perceptible, des éléments mélodiques et décoratifs d'un goût typiquement français.
Lorsque le jeune duc d’Anjou accède au trône d’Espagne, en 1701, par le jeu des testaments royaux, Michel de La Barre accompagne le jeune souverain à la frontière espagnole, en compagnie de 20 autres musiciens. Ce périple, resté célèbre par sa relation dans le Mercure galant, mentionne clairement « Mrs Labarre, Joüeur de Flûte Allemande, La Lande, Violon, Robel, Violon », musiciens de la suite du duc d’Ayen et accompagnant le futur roi. Il pourrait également expliquer les titres à caractère « ibériques » et/ou guerriers de certaines pièces du Premier Livre pour flûte publié en 1702 par le compositeur mais vraisemblablement composé plus tôt. Ce recueil, probablement le premier paru en France pour l’instrument, fut suffisamment important pour que son auteur prenne la peine d’y ajouter, en préambule, un « avertissement » fort intéressant. Il s’y disait avoir été inspiré des splendides pièces pour la viole que Marais avait éditées en 1686 et 1701, tout en confessant que son but était d'amener la musique pour flûte traversière à un niveau de perfectionnement égal à celui de la viole. N’arguait-il pas la viole était alors le partenaire idéal de la fluste d’allemand par son son, « un peu nasal comme celui d'un ambassadeur » : « Ces pièces sont pour la plus grande partie d’un caractère si singulier et si différentes de l’idée qu’on a eue jusques ici, de celles qui conviennent à la Flûte Traversière, que j’avais résolu de ne leur faire voir le jour qu’en les exécutant moi-même ; Mais les sollicitations de ceux qui me les ont entendu jouer, & les fautes qui se sont glissées dans les Copies de celles qu’on m’a surprises, m’ont enfin déterminé à les faire imprimer ; Et comme ces pièces sont les premières qui aient paru pour cette sorte de flûte, je crois être obligé pour en donner l’intelligence, de dire à ceux qui les voudront jouer : [...] A l’égard de l’étendue, il y a deux ou trois tons, dont je crois que l'on n'a point connaissance, & je ne saurais les faire entendre par écrit ; Mais ceux qui voudront les apprendre, pourront se donner la peine de passer chez moi, s'ils sont à portée de la faire, je me ferai un plaisir de les leur montrer sans intérêt. Ces tons sont l’E, si, mi plein, & le D, la, ré, Dièse en haut ; pour le C, sol, ut, Dièse en bas, il se fait en tournant l’embouchure de la Flûte en dedans. On peut jouer seul la plus grande partie de ces Pièces. Lorsqu’on voudra le faire en Partie, il faudra prendre absolument une Basse de Viole, & un Théorbe ou un Clavecin, ou les deux ensemble ; mais je crois que le Théorbe est à préférer au Clavecin : car il me semble que le son des cordes à boyau convient mieux avec le son de la Flûte Traversière, que celui des cordes de laiton. Je crois encore être obligé de dire, que je n’ay donné des noms à ces Pièces, que parce qu’il y en a plusieurs de la même espèce, & que j’ay tiré ces noms ou des Personnes à qui elles ont eu le bonheur de plaire, ou des endroits où je les au faites, sans prétendre par ces noms marquer leur Caractère en aucune manière. Enfin, j’ay affecté de faire entrer dans ces Pièces une partie des beautés & des difficultés dont cet instrument est susceptible, pour engager ceux qui voudront exécuter à étudier assez pour y parvenir. Et pour approcher autant qu’il est possible, cet Instrument de la perfection, j’ay crû pour la gloire de la Flûte & pour la mienne propre, devoir suivre en cela Monsieur Marais, qui s’est donné tant de peines & de soins pour la perfection de la Viole, & qui y a si heureusement réussi. » Mais l’année 1700 voit également la première contribution de La Barre à l’Opéra : le Triomphe des Arts, opéra-ballet en cinq actes, sans prologue, sur un livret d’Houdar de La Motte est donné le 16 mai. Bien qu’il n’ai pas obtenu le succès escompté et qu’aucune reprise n’ait été enregistrée, le dernier acte sera revu par Ballot de Sauvotet mis en musique par Rameau en 1748 sous le titre de Pygmalion. Le nom de Marin Marais, qui jouait de la viole auprès de La Barre au théâtre, figure sur une partie destinée à la basse continue dans le matériel d’orchestre conservé. Parmi les autres exécutants figurent, sur le pupitre de violon notamment, Théobalde et Rebel tandis que Gabriel Garnier, surtout connu comme organiste de la Chapelle Royale en 1702 tenait le clavecin. Mais La Barre retrouva son ami Marais lorsque ce dernier, quelques mois avant la nomination de comme batteur de mesure, se trouve mentionné dans un « Etat de la troupe de l’Opéra », dressé le 24 septembre 1704. La Barre est cette fois dans le grand chœur aux côtés de Nicolas II dit « Colin » Hotteterre. Lorsque le Triomphe des Arts fut donné, le librettiste Henry Guichard d'Hérapine devait violemment s’en prendre au texte d’Houdar de La Motte. Dans un pamphlet intitulé Lettre d’un Lanterniste de Thoulouze à l’Autheur du Ballet des Arts représenté sur le Théâtre de l’Opéra, il trouva la « conduite de la pièce » des plus « déréglées », les vers privés de « tendresse » et d’ « énergie », enfin « beaucoup de paroles sans aucune pensée ». La musique de La Barre sembla d’ailleurs avoir davantage marqué les esprits que le livret ainsi que le prouvent les nombreuses diffusions de certaines mélodies du ballet dans les divers recueils d’airs, et ce, durant tout le XVIIIe siècle. Ayant ainsi fait ses preuves auprès d’un public qui commençait à s’arracher de tels recueils, Michel de La Barre est nommé, le 27 mai 1704, « hautbois et musette de Poitou de la Chambre et de la Grande Ecurie ». Il revient sur la scène lyrique, le 26 mai 1705, avec une comédie lyrique en un prologue et trois actes, toujours sur un livret d’Houdar de La Motte. En 1768, Dauvergne donnera au même livret une nouvelle partition et n’aura aucun mal à en faire un opéra-comique tant le rôle du valet Zerbin y est important.
Le troisième Livre des trios de La Barre paraît en 1707, et est cette fois dédié à Etienne Landais, trésorier général de l’artillerie. Les six sonates que contient ce recueil sont toutes en quatre mouvements, mêlant danses (gigues, gavottes, rondeaux) aux préludes à l'italienne, et se terminant majoritairement par une vaste fugue. Le 9 décembre 1709, le roi lui accorde enfin un privilège personnel d’édition pour douze ans, en vue de la publication de « divers ouvrages de musique tant vocale qu’instrumentale et pour les flûtes traversières, à 2 ou plusieurs parties ». Jusqu’en 1725, Michel de La Barre entreprend alors la diffusion de ses 15 suites pour deux flûtes sans basse, premiers essais dans un genre qui allait connaître durant tout le XVIIIe siècle un essor extraordinaire, véritable ambassadeur de la conversation galante et raffinée ; illustration enfin idéale de l’intimité d’un duo, discutant dans un salon feutré, à la lumière vacillante d’une bougie… De 1709 à 1714 (1ère Suite/9e Suite de Pièces à 2 flûtes), La Barre habite « rüe de la vieille monnoye, chez Mr. Chârlier, marchand ». En 1710, il réside brièvement « Rüe neuve St Mederic, proche la rüe du renard, chez Mr. Coquelin », conformément au frontispice du Deuxième Livre de Pièces pour la flûte. Adressée à un certain Chauvet[10]., « Directeur général du Domaine d’Occident » la dédicace s’inscrit dans une longue tradition d’offrande appuyée, destinée à s’offrir l’accréditation d’un personnage influent auprès du public. La dernière pièce du recueil, la « sonate l'Inconnuë » n’a pourtant de sonate que le nom. Elle reste bel et bien une suite de mouvements parfaitement français, caractérisés et totalement représentatifs des humeurs de La Barre. L’exubérante Chaconne qui la termine, faite de phrases à quatre mesures répétées, emprunte à la viole ses batteries de doubles-croches. Le fait que La Barre l’ait surnommée « sonate » prouve cependant l’influence grandissante de la musique italienne… En juillet 1717 ainsi que le 17 octobre 1721, deux autres privilèges royaux lui prolongent le droit d’éditer sa musique de douze années supplémentaires. La Barre y est alors considéré comme « l’un des musiciens de la Chambre pour la flûte traversière ». A partir de 1721 et ce jusqu’en 1725, son adresse disparaît des frontispices. Aux alentours de 1720, il s’était retire, pensionné, de l’orchestre de l’Académie Royale de Musique. Le 20 décembre 1730, il démissionne également de sa charge de « hautbois et musette de Poitou » qui est alors rachetée par Jacques Chéron. Il termine probablement sa vie au service de son public…
Portrait présumé de La Barre, les deux frères Hotteterre avec Antoine Forqueray à la viole - Attribué à BouysDans ses Sonates à violon et suites pour la flûte traversière avec la basse de 1711, Louis-Antoine Dornel rend un vibrant hommage au monde de la flûte traversière en titrant certaines de ses pièces de manière significative : La Chauvet, Sarabande la Descosteaux, Sicilienne La Hotterre, L’ainé de Mr de la Barre. Cette dernière reprise d’une propre pièce de La Barre, présente dans le livre de 1702… Le superbe portrait longtemps attribué à Robert Levrac-Tournieres et désormais rendu à l’unanimité à André Bouys, illustre presque à merveille le propos de Dornel. Suivrant une rhétorique de représentation bien précise à l’époque baroque, on y reconnaît sans aucune contestation possible la figure de Michel de La Barre, perruque noire sur la tête, debout à droite, ouvrant son 3e Livre de trios de 1707. Le joueur de viole de gambe, à gauche, ne semble pas correspondre à Marin Marais dont Bouys avait déjà reproduit les traits. On a donc légitimement proposé d’y voir Antoine Forqueray. Quant aux deux autres flûtistes, difficile de dire s’il s’agit de Jacques Hotteterre « le Romain » et de l’un de ses frères ou cousin ou encore de Philibert et Descoteaux… Le premier à faire l’éloge de Michel de La Barre fut probablement Sébastien de Brossard qui, dans son catalogue de 1724 (p. 352), témoigne que La Barre était « le plus excellent joueur de la flûte traversière qui soit à Paris, et c'est lui qui a mis cet instrument en vogue ». Titon du Tillet quant à lui, dans son Parnasse François de 1727, mentionne également le flûtiste : « […] on peut dire qu’il étoit le premier homme de son temps pour l’exécution de cet instrument. L’admirable Blavet lui a succédé ». Par contre, lorsqu’il décrit son « orchestre du Parnasse », il réserve les places à « Philbert, Des Coteaux, les deux Hotteterres, Lucas, y charmeront par le son de leur Flûte ». D’Aquin précise, en 1753, qu’il « avait le merveilleux don d’attendrir ». La propension de Michel de La Barre à réussir dans l’émotion et les mélodies tendres fut également reprise dans le pourtant sévère Dictionnaire des Artistes de Fontenai (Paris, 1776), lequel y synthétisa les différents avis sur le flûtiste : « Il fût regardé comme le plus excellent joueur de flûte allemande de son temps. On dit qu’il avait le talent merveilleux d’attendrir en jouant de cet instrument. On se souvient encore de l’impression qu’il faisait dans l’orchestre de l’Opéra, auquel il fut longtemps attaché, et dont il eût une pension à la fin de ses jours ». Reste donc à jouer La Barre car sa musique, souffre encore d’une méconnaissance malheureuse.
source : wikipédia